“La raison d’être de Raison d’Art? Injecter dans chaque projet une dose d’humanité pour faire de l’art un vecteur de paix”.
COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS LE MOT “ENGAGEMENT”?
C’est ce sentiment qui vous prend aux tripes, de la même façon que l’empathie s’invite dans nos coeurs, la douleur dans nos yeux ou l’intelligence dans nos têtes. Pour moi, être engagée passe par le fait de ne jamais abandonner ce en quoi nous croyons profondément.
Je suis née de parents juifs, qui ont immigré au Canada depuis le Moyen-Orient. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours cherché à atteindre une forme d’égalitarisme, ce qui ne s’est pas fait sans encombres. Adolescente, je me suis perdue en tentant de me fondre parmi mes camarades de lycée, en adoptant vainement une personnalité stéréotypée par les médias. A vingt ans, je travaillais dans le monde de la mode lorsque j’ai été abusée sexuellement, faisant de moi une femme de plus sur la liste – les statistiques sont tristement célèbres : un tiers d’entre nous sont victimes d’abus sexuels au cours de notre vie. L’art s’est alors imposé comme un exutoire. Je me suis rapidement intéressée à son utilisation en tant que technique thérapeutique pour aider d’autres victimes. J’ai alors commencé à diriger des groupes de soutien destinés à des patients en hôpital psychiatrique, tout en travaillant dans des foyers familiaux. Je ne mentirais pas en disant que je lutte pour prévenir la violence depuis longtemps – parfois même par inadvertance.
Ces expériences m’ont forgée en tant que jeune femme. Plutôt que de me laisser abattre, j’ai décidé d’en faire une force pour changer l’ordre des choses. Je me suis d’abord formée, en passant d’un master en thérapie de l’Art à un doctorat en thérapie de couple et de la famille. J’ai travaillé dans des écoles et des centres communautaires, pour des institutions et en cabinet privé en tentant à chaque fois de stopper les rouages de la violence, tout en faisant des émules parmi la nouvelle génération.
Rétrospectivement, le premier tournant a été la création collective d’une oeuvre murale au Dawson College à l’occasion du cinquième anniversaire de la fusillade qui a endeuillé les lieux. Dès cet instant, je n’ai cessé de chercher à développer des projets de plus grande envergure en faisant appel à plus d’individus, d’écoles et d’associations. J’ai fait de l’art et de la technologie des outils pour susciter de l’empathie, favoriser l’intégration et développer la communication de façon à endiguer l’exclusion. Comme le disait Martin Luther King Jr, “L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l’amour le peut”.
En m’engageant à prévenir la violence, j’ai compris que nous avons tous un rôle à jouer pour trouver une solution. Mon projet PortraitX est une première réponse. Il met en relation plusieurs niveaux du secteur public et privé : des recherches cliniques, la technologie, l’art, la culture et l’éducation, le tout au service des compétences relationnelles. Disposer d’un cadre aussi large est l’occasion idéale pour imaginer un monde dans lequel la peur et la haine n’ont pas droit de cité.
En fin de compte, je travaille à l’amélioration des relations sociales au sens large. Mes recherches menées dans les écoles auprès des élèves, de leurs enseignants et de leurs familles ont prouvé qu’en changeant les normes éducatives dès le plus jeune âge, en apprenant comment traiter les émotions et les problèmes de société, nous pouvions changer les choses de façon durable. Ces prochaines années, je vais mener une étude rigoureuse en partenariat avec McGill University pour comprendre comment influer sur les comportements des jeunes, tant en ligne que dans la vie réelle de façon à endiguer la violence sexiste.
Il est difficile de faire rentrer ma profession dans une case. Je suis à la fois une thérapeute artistique, une psychothérapeute, une thérapeute familiale et conjugale, une directrice artistique, une artiste. Par dessus tout, je suis une femme qui tente de créer un monde dans lequel la paix prévaut, un monde dans lequel la prochaine génération pourra envisager notre genre, notre race et notre condition comme autant de définitions, non de ce que nous sommes, mais de ce que nous pouvons devenir. Mon engagement est l’humanité.
Je suis une femme féministe, ce qui reflète bien la place qu’occupe l’activisme dans ma vie personnelle. Je me bats pour être une femme telle que je l’entends, qui soit à la fois une mère, une épouse, un mentor ou une amie, mais aussi une clinicienne, une entrepreneure sociale et une artiste engagée. J’espère pouvoir changer durablement l’ordre établi en termes de genre, notamment pour mes filles et mon fils.
Mon travail quotidien est ma cause et vice-versa. Il est difficile de démêler les deux, et je m’en réjouis. Je m’efforce d’adopter chaque jour les principes qui bénéficieront au plus grand nombre.
J’espère avoir changé le système éducatif pour inscrire l’apprentissage socio-émotionnel au programme, pour faire entrer des outils puissants et créatifs dans les salles de classe. Je voudrais apprendre à la nouvelle génération, qui est née avec les écrans, comment se servir de la technologie de façon pertinente. J’espère faire diminuer la violence, pour créer un monde plus égalitaire et paisible.