Après avoir perdu son conjoint dans un accident de voiture, Diane Dupré la Tour a pris conscience de l'importance du lien social et du rôle du repas pour faciliter l’ouverture aux autres.
"On ne devrait pas attendre un accident de la vie pour vivre un tel élan de solidarité"
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Diane Dupré la Tour, ancienne journaliste de 42 ans, est la cofondatrice des Petites Cantines, un réseau de restaurants participatifs spécialisé dans l’alimentation durable et accessible à tous.
“Nous avons créé des restaurants participatifs, proposant des repas en alimentation durable et à prix libre. La première Petite Cantine a vu le jour à Lyon, et nous sommes présents aujourd’hui dans plusieurs villes de France.”
Cette belle histoire est pourtant née d’une tragédie.
“J’ai perdu mon conjoint dans un accident de voiture il y a dix ans”, déclare Diane. “Cet événement m’a fait prendre conscience qu’un accident de la vie peut facilement nous placer dans des situations de fragilité entraînant parfois un repli sur soi, au moment même où l’on a le plus besoin des autres. J’ai eu la chance de connaître un bel élan de solidarité de la part de mes voisins, et je me suis dit qu’on ne devrait pas attendre un accident de la vie pour vivre ça.”
C’est ainsi que tout a commencé. Avec son ami Etienne Thouvenot, Diane décide alors de créer un lieu qui répondrait à ce besoin de se sentir relié aux autres.
“Intuitivement, le repas nous est apparu comme le trait d’union pour créer du lien et faciliter les rencontres. C’est une source de résilience très forte, car le repas répond aussi bien à des besoins physiques qu’émotionnels ou encore relationnels.”
En laissant les convives décider du prix qu’ils paieront pour leur repas, Les Petites Cantines ouvrent grand leurs portes à tous les habitants d’un même quartier.
“ Cela permet d’accueillir des convives de différentes générations et parcours de vie. L’approvisionnement est réalisé en alimentation durable, avec des produits bios, locaux, et en circuit court. Nous collectons aussi les invendus des magasins bios du quartier. La cuisine est participative : ceux qui le veulent peuvent venir avant pour cuisiner ensemble. Ce sont des occasions de rencontres avec des gens que l’on n’aurait pas forcément rencontrés ailleurs. Certains habitants y proposent parfois des ateliers. Il y a des convives de toute génération, de tout parcours de vie autour de la table. Comme une fête des voisins qui aurait lieu tous les jours !”
Pour monter durablement un tel projet, Diane a dû faire face à de nombreux obstacles.
“Je ne connaissais pas du tout le milieu de la restauration”, admet Diane. “Il a donc fallu suivre des formations relatives à l’hygiène et découvrir les codes de ce milieu. Nous avons commencé avec des Petites Cantines éphémères dans des lieux que l’on nous prêtait pour tester l’impact auprès des habitants. Lorsque nous avons vu que cela se passait bien, nous nous sommes mis en quête d’un local. Le vrai défi était de trouver un local disponible, avec un loyer raisonnable et la possibilité de faire des travaux pour le mettre aux normes. Or tous les fonds de commerce que je trouvais étaient à plus de 100 000€.”
Diane a décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat alors qu’elle traversait une période difficile, devant faire face à la perte d’un proche, tout en s’occupant de ses trois enfants et en ayant quitté son travail.
“Vu de l’extérieur, cela paraissait irrationnel de me lancer dans ce projet. Mais j’avais le sentiment que c’était le bon moment pour y aller. En réalité, on prend beaucoup de risques à ne pas suivre son instinct : celui de passer à côté de sa vie.”
Et pourtant, avec Etienne, ils s’accrochent à leur rêve et continuent d’aller de l’avant.
“L’autre défi est d’avancer malgré les incertitudes. Nous avions l’ambition de construire un modèle non lucratif, mais sans dépendre des subventions pour fonctionner : un modèle qui repose vraiment sur la contribution libre et consciente des habitants. Or cela peut être vécu comme stressant de ne jamais savoir ce qu’il y aura dans la caisse à la fin de la journée, surtout quand il y a des salaires à payer, un loyer, des charges. C’est un vrai apprentissage de la confiance. Et ça marche !”
Aujourd’hui, toutes les cantines sont à l’équilibre et construites sur un modèle stable. Près de 85 000 repas ont été servis à plus de 35 000 convives depuis le lancement de l’initiative il y a six ans. 10 cantines sont déjà ouvertes, et 12 sont en cours de lancement, même si une certaine insécurité persiste.
“Une part de l’approvisionnement dépend de la collecte de produits invendus issus des magasins du quartier. On ne sait pas non plus qui va venir cuisiner. On ne sait pas non plus qui on va avoir à table. Bref, quand un projet repose sur les rencontres, il faut accepter qu’une grande part soit imprévisible, et savoir faire preuve d’adaptation. Nos responsables de cantine sont des héros de la gestion de l’incertitude, et ils le font avec énormément de simplicité et de capacité relationnelle. C’est, à mon avis, un métier d’avenir, dans une société du lien.”
Ce dispositif admirable fonctionne-t-il vraiment ? Six ans après le lancement de la première cantine, Diane peut l’affirmer et prouver l’impact positif des Petites Cantines.
“Nous réalisons des mesures d’impact social tous les deux ans. Aujourd’hui, 95% des convives nous disent qu’ils se sentent accueillis tels qu’ils sont. Ils prennent conscience de certains préjugés sur les autres et changent plus facilement de regard après avoir partagé un moment de qualité avec une personne en particulier. Deux convives sur trois font davantage confiance aux autres et ont le sentiment que les autres leur font plus confiance. Je pense que le plus gros apport des Petites Cantines, c’est ce changement de regard sur le lien social et sur la solitude.”
En dehors de l’aspect social, cette initiative a également un impact positif sur la santé.
“Nous mesurons aussi l’impact en terme d’accès à l’alimentation durable : 82% des convives ont découvert des recettes saines et peu coûteuses chez nous, et ont envie de les reproduire chez eux. Nous proposons des produits bios, locaux, en circuit court, en vrac pour avoir moins d’emballages. Ces pratiques influencent les comportements alimentaires de nos convives, pas simplement par le discours, mais aussi par l’expérience du plaisir. La notion de saveur, de bien-être sensoriel est très importante. Nous pensons que cela aide à s’ouvrir aux autres. On constate qu’un convive sur deux a transformé durablement son comportement alimentaire grâce aux Petites Cantines.”
La fréquentation des restaurants illustre à elle seule le succès de ce projet.
“On compte 25% de convives qui viennent souvent, c’est-à-dire au moins une fois par semaine. Environ 50% des convives viennent de manière régulière, une à deux fois par mois. Enfin, les 25% restants sont des personnes de passage qui viennent une à deux fois par an. Ces derniers sont souvent des ambassadeurs de nos cantines. Ils en parlent autour d’eux. En ce qui concerne les personnes âgées, l’initiative peut venir de leurs enfants qui ont entendu parler des cantines. Ils accompagnent leurs parents une première fois et les laissent ensuite revenir seuls si le projet les séduit.”
Face à ce succès, Diane et son équipe peuvent aujourd’hui s’enthousiasmer sur le futur des Petites Cantines.
“D’ici cinq ans, nous souhaiterions compter une cinquantaine de restaurants participatifs dans le réseau. Cela équivaudrait à environ 100 000 convives et une centaine de salariés. Aujourd’hui, nous sommes trente salariés à l’échelle du réseau.”
Mais leur objectif est de ne pas grandir davantage, pour ne pas aller à l’encontre du discours tenu depuis le début des Petites Cantines : la proximité et la simplicité sont des ingrédients clés dans le lien social.
“Le mot «Petites» est tout aussi important que le mot «Cantines»”, explique Diane. “Pour nourrir des relations de confiance, il faut se connaître, éviter de créer des structures super complexes. L’agilité entrepreneuriale nous permet de rester très résilients : une qualité qui est précieuse dans cette période pleine de changements.”
L’idéal, pour Diane et son équipe, serait de faire émerger d’autres réseaux et de leur transmettre leur savoir-faire.
“Notre objectif n’est pas d’avoir juste un impact social au sein des Petites Cantines, mais aussi en dehors. Nous voulons former les entreprises, les acteurs de l’hôtellerie et de la restauration pour associer des compétences relationnelles aux repas. Hannah Arendt décrit la table comme un espace qui nous relie tous, tout en conservant une distance entre chacun. Cette distance n’est pas un espace vide puisqu’elle est remplie par ce qu’il se passe au-dessus de l’assiette, à savoir la parole. C’est par elle que l’on va vivre des rencontres improbables dans les Petites Cantines. Si demain nous nous nourrissons de produits très responsables, mais en mangeant tout le temps seuls, cela ne correspond pas à ma perception de l’alimentation durable. Pour nous, la dimension de repas partagé s’inscrit dans les critères d’une alimentation durable, autant que de réaliser des repas bios, locaux, et équilibrés.”
Quand elle a appris que le Château de Pommard avait choisi Les Petites Cantines comme l’une des trois lauréates des Simone Awards 2022, Diane dit avoir éprouvé un sentiment de fierté collective.
“C’est la récompense du travail de plusieurs équipes. Je suis également très reconnaissante. Finalement, le monde du vin et des Petites Cantines se ressemblent plus qu’on ne le croit. On pourrait penser qu’un domaine viticole avec une telle notoriété ne verrait pas de lien avec une association qui nourrit les liens de proximité comme Les Petites Cantines. Et pourtant, le repas est ce qui nous rassemble.”
La convivialité engendrée par un vin soigneusement élaboré et accompagné de délicieux mets est l’un des facteurs clés dans l’élaboration des vins du Château de Pommard. Nous sommes fiers d’être associés à une organisation qui comprend l’importance de l’aspect social et des moments conviviaux autour de mets et vins. Nous espérons que notre subvention aidera Diane et son équipe à continuer le développement de ce beau projet.
“Nous allons l’utiliser pour le développement de notre réseau, pour créer une dynamique d’intelligence collective et accompagner les nouvelles équipes. Les porteurs de projets plus expérimentés accompagnent les nouveaux projets. Il faut donc les former à la posture de facilitateur et mettre à leur disposition une boîte à outils actualisée en fonction de toutes les contraintes réglementaires”, déclare Diane.
Quel conseil donnerait Diane à quelqu’un qui souhaite s’engager dans une cause qui lui est chère ?
“Ne t’engage pas tout seul. Embarque des gens avec toi. Tu seras enrichi de leurs expériences et de leurs sensibilités. Tu découvriras le bonheur de pouvoir compter sur les autres, ce qui est peut être l’une des choses les plus difficiles à accepter.” En France, on est beaucoup dans la souffrance de l’échec entrepreunarial. On le vit comme un échec individuel. Je pense que tout serait plus facile si on se disait que la réussite elle-même n’est pas individuelle, mais collective.”
Merci Diane et bonne continuation !
Diane s’est entretenue avec Rémi Marchand, notre Senior Trade Sales Manager Asie.