Développer un plan d’actions pour s’attaquer directement aux menaces sanitaires des espèces en voie d'extinction est une initiative novatrice menée par VIEW. Lauréate des Simone Awards 2022, le Dr Deborah McCauley nous révèle la genèse de son projet et comment le prix contribuera à protéger les espèces menacées.
"Nous assistons à la disparition de populations à l’échelle mondiale."
Les nominations pour les Simone Awards 2024 sont ouvertes. Connaissez-vous une femme engagée ?
Le Dr. Deborah McCauley a fondé VIEW (Veterinary Initiative for Endangered Wildlife), une organisation à but non lucratif dont la mission est de protéger les espèces sauvages en danger en s’attaquant aux menaces sanitaires auxquelles elles sont confrontées dans leur habitat naturel.
“Nous sommes une organisation œuvrant pour la santé des animaux sauvages”, déclare Deborah. “Nous menons des actions en Amérique du Nord, en Afrique et en Asie. Nous créons des programmes durables de conservation des espèces sauvages et travaillons avec les communautés locales afin de leur donner les moyens d’intégrer la santé des espèces sauvages dans leurs propres actions.”
Le Dr McCauley n’en est pas à sa première expérience avec les animaux sauvages.
“J’ai toujours travaillé avec la faune sauvage : au State of Wildlife, au Montana Fish Wildlife & Parks, pour la Wildlife Conservation Society, et dans un zoo. J’ai pu constater qu’un grand travail de conservation est réalisé à l’échelle mondiale pour faire face au changement climatique, à l’empiètement sur l’habitat animal et au braconnage.”
Pourtant, ces mesures ne lui paraissent pas suffisantes. Pour Deborah, un maillon de la chaîne semble manquer.
“J’avais la sensation d’une pièce manquante dans la conservation des animaux sauvages. Créer un programme complet de santé des animaux sauvages en sus des efforts de conservation déjà en place pourrait, selon moi, avoir un impact important. La surveillance des maladies des espèces sauvages en danger d’extinction ou menacées était insuffisante. L’une des plus grandes menaces aujourd’hui pour la faune sauvage est le manque d’attention envers leur santé. Prenons l’exemple du COVID. Nous avons contracté la maladie auprès de la faune sauvage mais il ne faut pas oublier que nous-mêmes nous lui transmettons aussi des maladies. Nous sommes déjà à la sixième vague d’extinction. Nous assistons à la disparition de populations à l’échelle mondiale.”
L’initiative VIEW est ainsi née de ce constat tragique. Deborah a fait appel à un autre expert, le Dr Gretchen Kaufman, réputée en matière de médecine de conservation.
“J’ai eu la chance de m’associer au Dr Gretchen Kaufman, qui est ma partenaire dans ce projet. Nous avons d’excellents vétérinaires dans notre équipe, qui travaillent avec nous afin d’étendre les efforts de conservation des espèces sauvages, toujours dans un objectif de durabilité.”
En outre, l’association VIEW est la seule au monde à intervenir sur l’aspect sanitaire pour protéger la faune sauvage.
“Nous sommes pionniers dans ce domaine. Aucune autre organisation au monde ne fait quelque chose de similaire, à savoir cibler les espèces menacées ou en voie de disparition, mettre en œuvre de façon durable un programme de santé qui leur est dédié et accompagner les États, les parcs et les organisations dans la mise en place de ce programme.”
VIEW accompagne les acteurs locaux mais n’a cependant pas vocation à intervenir de manière définitive sur les terrains choisis.
“Notre programme est une initiative, nous n’avons pas pour but de nous établir de façon définitive dans les zones dans lesquelles nous opérons.
Deborah ajoute : “Nous sommes juste là pour aider les organisations de conservation locales à inclure la santé de la faune sauvage dans leurs actions. Quand c’est fait, nous partons. Nous avons également créé un système équivalent au système de dossier médical électronique, mais pour les espèces sauvages en danger. Nous travaillons actuellement avec une agence d’état et une école vétérinaire aux États-Unis sur un projet de recherche sur les éléphants et les espèces nord-américaines et africaines. Ce système est un programme unique qui inclut des moteurs de recherche dans lesquels vous pouvez télécharger des photographies, des radiographies et des échographies, ainsi que des cartes Google. Il s’agit d’un programme destiné aux personnes qui travaillent sur le terrain avec les animaux.”
Monter un tel projet n’est pas une mince affaire. Deborah et son équipe doivent faire face à des obstacles, notamment celui du financement.
“Le plus grand défi est indéniablement celui de la collecte de fonds. En effet, notre mission est très claire et nous ne souhaitons pas nous en écarter. Il n’existe pas vraiment de subventions pour ce type d’action de conservation, car nous sommes des pionniers dans ce domaine. Les dons d’entreprises ou de particuliers sont donc très appréciés. De nombreux vétérinaires et défenseurs de l’environnement comprennent et reconnaissent l’importance de notre travail. Par exemple, le WWF (World Wide Fund) est une grande organisation qui fait un excellent travail de conservation des animaux, mais il n’a pas de vétérinaires ou de programmes de santé dédiés aux animaux sauvages. Nous avons des équipes formidables, mais nous avons aussi besoin de fonds pour nous développer et croître.”
Malgré les difficultés financières, l’association a déjà commencé à se développer et à mener plusieurs actions.
“Nous avons réalisé une action pilote au Népal. Nous avons eu la chance de travailler avec certains des meilleurs écologistes, avec les populations locales, avec le gouvernement et une organisation non gouvernementale appelée National Trust for Nature Conservation et l’Université. Nous avons construit notre premier programme durable là-bas, en commençant par le parc national de Chitwan”, déclare Deborah. “Nous avons formé plus de 200 vétérinaires et conservateurs de la faune sauvage, ainsi que la police et les biologistes du parc. Lorsqu’un animal, un tigre par exemple, est capturé parce qu’il quitte le parc et qu’il doit être transféré vers un nouvel endroit, c’est le moment idéal pour recueillir des informations sur sa santé, comme du sang, des tissus ou des matières fécales. Un grand nombre de travaux de conservation des animaux sont réalisés au Népal. Pas seulement notre travail, mais aussi celui d’autres groupes locaux et internationaux.”
Cette intervention a eu un impact positif :
“Pendant la période où nous étions là-bas, soit environ dix ans, le nombre de tigres a doublé. C’est le premier pays au monde à réussir cet exploit. Je ne peux pas dire que cela soit entièrement grâce à VIEW, mais nos actions ont eu un impact.”
Deborah souhaite continuer sur cette belle lancée.
“Notre objectif est d’observer comment les communautés et les organisations de conservation locales font de la santé de la faune sauvage une pierre angulaire de leurs actions.”, déclare-t-elle.
La directrice exécutrice de VIEW insiste sur l’importance de la surveillance des maladies : “Je suis convaincue que la surveillance des maladies peut aider à préserver les populations d’animaux sauvages. La santé est une problématique importante pour la conservation. Mais c’est une question qui n’a pas été suffisamment abordée et qui requiert des fonds. J’aimerais voir davantage de financement et de soutien dans ce domaine.”
“Nous assistons à une extinction de populations d’animaux sauvages, qui disparaissent sans que nous le sachions,” rappelle la vétérinaire. “Si nous partageons 75% des maladies nouvelles et émergentes avec la faune sauvage, imaginez combien d’animaux domestiques partagent des maladies avec celle-ci. Par exemple, un chien peut être porteur d’une maladie qui se répand dans les populations sauvages. La transmission de maladies augmente de façon exponentielle. Au cours des 50 dernières années, la population humaine a doublé et ainsi la population d’animaux domestiques a également bondi. Il est donc facile d’imaginer l’incidence sur la faune sauvage.”
Deborah a également remporté de nombreux prix de rang mondial, notamment la bourse Ashoka 2017 et le prix Emily Couric Women’s Leadership Award en 2019.
“J’ai obtenu la bourse Ashoka pour le travail que nous avons accompli au Népal. Nous avons construit nos systèmes de manière à pouvoir les reproduire et les faire évoluer.”
Quand elle a appris sa nomination aux Simone Awards, Deborah s’est dit “ravie, curieuse et surprise”.
Elle ajoute : “Nous étions curieux de savoir si c’était l’un de nos supporteurs qui avait soumis notre candidature. Nous apprécions que le Château de Pommard reconnaisse nos actions. Nous avons durement travaillé et avons passé de nombreuses années à mettre en place ces programmes. Nous vous remercions de les mettre en lumière.”
Notre subvention va permettre à VIEW d’intervenir dans le Greater Yellowstone Ecosystem, pour un projet destiné aux grizzlis.
Quel conseil donnerait Deborah aux personnes souhaitant œuvrer pour une grande cause ?
“Ayez un objectif, ayez une vision. Entourez-vous de personnes qui vous soutiennent. Et ne vous éloignez pas de votre objectif et ne vous arrêtez pas. C’est dur, et ce n’est pas facile, mais vous y arriverez.”
Merci Deborah et bonne continuation dans vos actions !
Le Dr. Deborah McCauley s’est entretenue avec Benoit Daury, notre Directeur On-Trade.